CITE DU VATICAN, Mardi 13 janvier 2004 – “Relire et réinterpréter” la doctrine de saint Louis-Marie Grignion de Montfort à la lumière de l’enseignement du concile Vatican II, c’est ce que Jean-Paul II se propose dans une lettre marquant le 160e anniversaire de la publication du “Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge”.
Lettre du Pape Jean-Paul II
à la Famille Montfortaine
à l’occasion du cinquantenaire de la canonisation de Saint Louis-Marie de Montfort
1. La famille montfortaine va ouvrir une année consacrée à la célébration du cinquantième anniversaire de la canonisation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, qui eut lieu à Rome le 20 juillet 1947. Avec la Compagnie de Marie, les Frères de Saint-Gabriel et les Filles de la Sagesse, je suis heureux de rendre grâce au Seigneur pour le rayonnement grandissant de ce saint
missionnaire, dont l’apostolat était nourri par une profonde vie de prière, par une foi inébranlable en Dieu Trinité et par une intense dévotion à la Très Sainte Vierge Marie, Mère du Rédempteur.
Pauvre parmi les pauvres, profondément intégré dans l’Église malgré les incompréhensions qu’il a rencontrées, saint Louis-Marie a pris pour devise ces simples mots: «Dieu seul». Il chantait: «Dieu seul est la tendresse, Dieu seul est mon soutien, Dieu seul est tout mon bien, ma vie et ma richesse»
(Cantique 55,11). En lui, l’amour pour Dieu était total. C’est avec Dieu et pour Dieu qu’il allait vers les autres et qu’il marchait sur les chemins de la mission. Continuellement conscient de la présence de Jésus et de Marie, il était en tout son être un témoin de la charité théologale qu’il désirait faire partager. Son action et sa parole n’avaient pour fin que d’appeler à la conversion et de faire vivre de Dieu. Ses écrits sont autant de témoignages et de louanges du Verbe incarné, et aussi de Marie, «chef-d’oeuvre du Très-Haut, miracle de la Sagesse éternelle» (cf. L’Amour de la Sagesse éternelle, n. 106).
2. Le message que nous a laissé le Père de Montfort se fonde inséparablement sur les méditations du mystique et sur la pédagogie pastorale de l’apôtre. À partir des grands courants théologiques alors répandus, il exprimait sa foi personnelle en fonction de la culture de son temps. Tour à tour poétique et familièrement proche du langage de ses interlocuteurs, son style peut surprendre nos contemporains, mais cela ne doit pas empêcher de s’inspirer de ses intuitions fécondes. C’est pourquoi le travail accompli par la famille montfortaine aujourd’hui est précieux, car il aide les fidèles à saisir la cohérence d’une vision théologique et spirituelle toujours orientée vers une vie intense de foi et de charité.
Avant tout, saint Louis-Marie frappe par sa spiritualité théocentrique. Il a «le goût de Dieu et de sa vérité» (L’Amour de la Sagesse éternelle, n. 13) et sait communiquer sa foi en Dieu, dont il exprime à la fois la majesté et la douceur, car Dieu est source débordante d’amour. Le Père de Montfort n’hésite pas à ouvrir aux plus humbles le mystère de la Trinité, qui inspire sa prière et sa réflexion sur l’Incarnation rédemptrice, oeuvre des Personnes divines. Il veut faire saisir l’actualité de la présence divine dans le temps de l’Église; il écrit notamment: «La conduite que les trois Personnes de la Très Sainte Trinité ont tenue dans l’Incarnation et le premier avènement de Jésus Christ, elles la gardent tous les jours, d’une manière invisible, dans la sainte Église, et la garderont jusqu’à la consommation des siècles, dans le dernier avènement de Jésus Christ» (Traité de la vrai dévotion, n. 22) À notre époque, son témoignage peut aider à fonder vigo ureusement l’existence chrétienne sur la foi dans le Dieu vivant, sur une relation chaleureuse avec lui et sur une solide expérience ecclésiale, grâce à l’Esprit du Père et du Fils, dont le règne continue à présent (cf. Prière embrasée, n. 16).
3. La personne du Christ domine la pensée de Grignion de Montfort: «Jésus Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, doit être la fin dernière de toutes nos autres dévotions» (Traité de la vraie dévotion, n. 61). L’Incarnation du Verbe est pour lui réalité absolument centrale: «Ô Sagesse éternelle […], je vous adore […], dans le sein de votre Père pendant l’éternité, et dans le sein virginal de Marie, votre digne Mère, dans le temps de votre Incarnation» (L’Amour de la Sagesse éternelle, n.223). L’ardente célébration de la personne du Fils de Dieu incarné, qui se retrouve dans tout l’enseignement du Père de Montfort, garde aujourd’hui son inestimable valeur, car elle relève d’une conception équilibrée du point de vue de la doctrine et elle porte à l’adhésion de tout l’être à Celui qui révèle à l’humanité sa véritable vocation. Puissent les fidèles entendre cette exhortation: «Jésus Christ, la Sagesse éternelle, est tout ce que vous pouvez et devez désirer. Désirez- le, cherchez-le, […] unique et précieuse perle» (ibid., n. 9)!
La contemplation des grandeurs du mystère de Jésus va de pair avec celle de la Croix dont Montfort faisait le signal majeur de ses missions. Souvent durement éprouvé, il en a lui- même connu le poids, comme en témoigne une lettre à sa soeur à qui il demande de prier pour lui «obtenir de Jésus crucifié la force de porter les plus rudes croix et les plus pesantes» (Lettre 24). Au jour le jour, il pratique l’imitation du Christ dans ce qu’il appelle l’amour fou de la Croix, dans laquelle il vo it «le triomphe de la Sagesse éternelle» (L’Amour de la Sagesse éternelle, ch. XIV). Par le sacrifice du Calvaire, le Fils de Dieu, se faisant petit et humble jusqu’à l’extrême, rejoint la condition de ses frères soumis à la souffrance et à la mort. Le Christ manifeste là, de manière éloquente, son amour infini et ouvre à l’humanité la voie de la vie nouvelle. Louis-Marie, qui suivait son Seigneur et faisait «sa demeure dans la Croix» (ibid., n.180), donne un témoignage de sainteté que ses héritiers dans la famille montfortaine ont à donner à leur tour afin de montrer à ce monde la vérité de l’amour sauveur.
4. Pour connaître la Sagesse éternelle, incréée et incarnée, Grignion de Montfort a constamment invité à se confier à la Très Sainte Vierge Marie, si inséparable de Jésus que l’«on séparerait plutôt la lumière du soleil» (Vrai dévotion, n. 63). Il demeure un incomparable chantre et disciple de la Mère du Sauveur, en laquelle il célèbre celle qui conduit sûrement vers le Christ: «Si nous établissons la solide dévotion de la Très Sainte Vierge, ce n’est que pour établir plus parfaitement celle de Jésus Christ, ce n’est que pour donner un moyen aisé et assuré pour trouver Jésus Christ»
(ibid., n. 62). Car Marie est la créature choisie par le Père et totalement donnée à sa mission maternelle. Entrée en union avec le Verbe par son libre consentement, elle se trouve associée de manière privilégiée à l’Incarnation et à la Rédemption, de Nazareth jusqu’au Golgotha et au Cénacle, absolument fidèle à la présence de l’Esprit Saint. Elle «a trouvé grâce devant Dieu pour tout le monde en général et pour chacun en particulier» (ibid., n. 164).
Aussi saint Louis-Marie appelle-t-il à se livrer tout entier à Marie pour accueillir sa présence au fond de l’âme. «Marie devient toute chose à cette âme auprès de Jésus Christ: elle éclaire son esprit par sa pure foi. Elle approfondit son coeur par son humilité, elle l’élargit et l’embrase par sa charité, elle le purifie par sa pureté, elle l’anoblit et l’agrandit par sa maternité» (Le Secret de Marie, n. 57).
Le recours à Marie porte toujours à faire à Jésus une plus grande place dans la vie; il est significatif, par exemple, que Montfort invite le fidèle à se tourner vers Marie avant la communion: «Vous supplierez cette bonne Mère de vous prêter son coeur, pour y recevoir son Fils dans ses mêmes dispositions» (Vrai dévotion, n. 266).
En notre temps où la dévotion mariale est vivante mais pas toujours suffisamment éclairée, il serait bon de retrouver la ferveur et le ton juste du Père de Montfort pour donner à la Vierge sa vraie place et apprendre à la prier: « Ô Mère de miséricorde, faites- moi la grâce d’obtenir la vraie sagesse de Dieu et de me mettre pour cela au nombre de ceux que vous aimez, que vous enseignez, que vous conduisez. […] Ô Vierge fidèle, rendez- moi en toutes choses un parfait disciple, imitateur et esclave de la Sagesse incarnée, Jésus Christ votre Fils» (L’Amour de la Sagesse éternelle, n. 227).
Sans doute certaines transpositions de langage s’imposent-elles, mais la famille montfortaine doit continuer son apostolat marial dans l’esprit de son fondateur, afin d’aider les fidèles à maintenir une relation vivante et intime avec celle que le Concile Vatican II a honorée comme un membresuréminent et absolument uniq ue de l’Église, rappelant que, «la Mère de Dieu est, comme l’enseignait déjà saint Ambroise, le modèle de l’Église dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ» (Lumen gentium, n. 63).
5. L’année montfortaine attire l’attention sur les axes principaux de la spiritualité de saint Louis-Marie, mais il est tout aussi opportun de rappeler que ce dernier fut un missionnaire extraordinairement rayonnant. Dès son ordination, il écrivait: «Je sens de grands désirs de faire aimer Notre Seigneur et sa Sainte Mère, d’aller, d’une manière pauvre et simple, faire le catéchisme aux pauvres». Il vécut en pleine fidélité à cette vocation, qu’il fera partager aux prêtres qui le rejoindront. Dans les Règles des Prêtres missionnaires de la Compagnie de Marie, il invite le missionnaire apostolique à prêcher avec simplicité, vérité, sans crainte et avec charité, «et avec sainteté, n’ayant que Dieu seul en vue, sans intérêt que celui de sa gloire, et en pratiquant le premier ce qu’il enseigne aux autres» (n. 62).
Alors que s’impose dans la plupart des régions du monde la nécessité d’une nouvelle évangélisation, le zèle du Père de Montfort pour la Parole de Dieu, sa sollicitude pour les plus pauvres, son aptitude à se faire entendre des plus simples et à stimuler la piété, ses qualités d’organisateur, ses initiatives pour prolonger la ferveur par la fondation de mouvements spirituels ou pour engager les laïcs au service des pauvres, tout cela, avec les adaptations voulues, peut inspirer les apôtres d’aujourd’hui.
L’une des constantes des nombreuses missions prêchées par saint Louis-Marie lui- même mérite d’être soulignée aujourd’hui: il demande de renouveler les promesses du baptême, faisant même de cette démarche un préalable à l’absolution et à la communion. Cela prend une saisissante actualité, en cette première année préparatoire au grand Jubilé de l’An 2000, précisément consacrée au Christ et au sacrement du Baptême. Montfort avait bien compris l’importance de ce sacrement qui consacre à Dieu et constitue la communauté, ainsi que la nécessité de redécouvrir, dans une ferme adhésion de foi, la portée des engagements du baptême.
Marcheur de l’Évangile, enflammé par l’amour de Jésus et de sa sainte Mère, il sut toucher des foules et leur faire aimer le Christ Rédempteur contemplé sur la Croix. Puisse-t- il soutenir les efforts des évangélisateurs de notre temps!
6. Chers frères et soeurs de la grande famille montfortaine, en cette année de prière et de réflexion sur le précieux héritage de saint Louis-Marie, je vous encourage à faire fructifier ce trésor qui ne doit pas rester caché. L’enseignement de votre fondateur et maître rejoint les thèmes que toute l’Église médite à l’approche du grand Jubilé; il jalonne le chemin de la vraie Sagesse, qu’il faut ouvrir à tant de jeunes qui cherchent le sens de leur vie et un art de vivre.
Je salue vos initiatives pour diffuser la spiritualité montfortaine, dans les formes qui conviennent à différentes cultures, grâce à la collaboration des membres de vos trois Instituts. Soyez aussi un appui et une référence pour les mouvements qui s’inspirent du message de Grignion de Montfort, afin de donner à la dévotion mariale une authenticité toujours plus sûre. Renouvelez votre présence auprès des pauvres, votre insertion dans la pastorale ecclésiale, votre disponibilité pour l’évangélisation.
En confiant votre vie religieuse et votre apostolat à l’intercession de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et de la bienheureuse Marie-Louise Trichet, je vous accorde de grand coeur, ainsi qu’à tous ceux qui vous sont proches et que vous servez, la Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 21 juin 1997
Joannes Paulus II
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