Entrer dans le Coeur de Jésus
L’invocation à l’Esprit de ce jour est du Cardinal John Henry Newmann (1801-1890). Cet homme de Dieu est passé de l’anglicisme à l’Eglise catholique, premier converti d’un grand nombre dans ce que l?on a appelé le mouvement d’Oxford qui au début du siècle à préparé le terrain pour la réunion de l’Eglise anglicane à Rome. On le sait le protestantisme est attaché à la Bible qu’il tente d’interpréter le plus fidèlement possible. Newman découvrira que le catholicisme partage cet attachement mais qu’un développement du contenus des écritures est nécessaires, aussi les dogmes ne sont pas des inventions, des nouveautés mais des explications de ce que dit la Bible. (Essay on Development). La devotion au Coeur de Jésus est un très bel exemple de ce développement, de ce déploiement au travers l’histoire. Une retraitante âgée me disait récemment : « Vous avez de la chance de vivre à notre époque, de mon temps on nous présentait un Dieu terrible qui épiait la moindre de nos actions pour nous punir. Aujourd’hui l’Eglise nous présente un Père qui nous aime. » après deux mille ans d’histoire le christianisme trouve une nouvelle jeunesse donnée par le Saint-Esprit et dans le corps rajeuni de l’Eglise bat le Coeur miséricordieux du Christ.
Seuls les mystiques considéraient Dieu comme un intime, comme un amoureux, pour le reste du peuple il demeurait extérieur et parfois très loin dans le ciel où il siégait comme un Jupiter tonnant. La rencontre n’aurait lieu qu’après la mort et non pas les retrouvailles de deux amants qui se sont languis l’un de l’autre mais comme une comparution devant le juge céleste. Ce Dieu d’amour dont nous parlons aujourd’hui a révélé la nature peu à peu jusqu’à ce que nous le connaissions de l’intérieur. Cet intérieur dont l’école française avait déjà beaucoup parlé au XVllème siècle.
Un voyage dans le corps du Christ
Dès l’Ancien Testament est annoncé le coup de lance qui ouvrira le coeur du Christ voilé sous la forme du rocher. Dieu est en effet appelé rocher qui nous sauve, qui en hébreu peut signifier rocher de Jésus. Comment ne pas voir dans l’épisode du roché frappé une préfiguration du Christ en croix dont le côté ouvert laisse couler l’eau du salut. Un commentaire Juif (Midrash) dit même qu’il sortit du rocher de l’eau de du sang !
« Le seigneur dit à Moïse : Passe devant le peuple, et prends avec toi des anciens d’Israël ; prends aussi dans ta main ta verge avec laquelle tu as frappé le fleuve et marche ! Voici, je me teindrai devant toi sur le rocher d’Horeb ; tu frapperas le rocher, et il en sortira de l’eau, et le peuple boira. Et Moïse fit ainsi, aux yeux des anciens d’Israël. Il donna à ce lieu le nom de Massa et Meriba, parce que les enfants d’Israël avaient contesté, et parce qu’ils avaient tenté le Seigneur, en disant, le Seigneur est au milieu de nous ou n’y est-il pas ? » (Ex 17, 5-7)
Une seconde fois le peuple aura soif et Dieu demandera à Moïse de ne pas frapper le rocher mais simplement de lui parler pour qu’il s’ouvre. Moïse n’obéit pas et frappa deux fois le rocher, pour cela l’entrée de la terre promise lui fut interdite. En effet, la faute est grande prophétiquement car le Christ a été frappé une fois pour toutes, il suffit de le prier pour recevoir les bénéfices de l’eau et du sang d son coeur.
Saint Jean est le seul des évangélistes a rapporter le transpercement par la lance. Il faut dire qu’il avait été couché sur la poitrine de Jésus pendant la dernière Cène et qu’il avait entendu battre le Coeur de Dieu. Ce passage des Ecritures ne sera pratiquement pas commenté pendant des siècles. Il faudra attendre le renouveau cistercien pour que se développe une dévotion au côté de Jésus, à son côté droit comme cela avait été prophétisé par Ezechiel, du côté du Temple sortirait une source qui deviendrait un fleuve et qui redonnerait vie au lieu désertiques et féconderait la Mer Morte. Saint Bernard dira que l’on peut entrer dans le côté du Christ pour y trouver un abri comme la colombe du Cantique des cantiques trouve refuge dans le creux du rocher. Il construira ses monastères non plus au sommet des collines mais dans les vallons, dans le creux du rocher au près des sources.
De grands intimes de Dieu comme Gertrude d’Hefta au Moyen-Age parleront non plus du côté mais du coeur de Jésus. Un long voyage, une migration dans le corps de Jésus nous conduit jusqu’à l’école française qui enseignera à faire sa demeure à l’intérieur même de ce Coeur qui a tant aimé les hommes. Ce mouvement culminera avec les révélations faites à sainte Marguerite-Marie Alacoque. La contemplation du Coeur de Jésus nous enseigne sur les sentiments qui étaient en Jésus-Christ afin de rendre nos coeurs semblables au sien.
Coeur de Dieu et coeur de l’homme
Dès le quinzième siècle l’iconographie nous enseignera que la prédication associait le coeur de Jésus et le coeur de Marie. C’est en effet un même glaive a deux pointes qui transperce en même temps le coeur de la Mère et celui de son enfant selon la prophétie du vieillard Syméon : « et toi-même une épée te transpercera l’âme, afin que les pensées de beaucoup de coeurs soient dévoilées. (Lc 2,35) On ne peut pas douter que cette prophétie se soit réalisées au cours de la passion bien que le coeur de notre Mère ait été soumis souvent à d’autres transpercements, à d’autres crève-coeur pour employer une expression familière mais très parlante. Ce transpercement couronne une union de volonté entre Marie et Jésus. Claudel écrira « c’est à ce moment que s’achève la passion et que commence la compassion. » Le Christ est déjà mort aussi la souffrance rédemptrice du coup de lance est-elle assumée par le coeur bien vivant de la Vierge. Mais comme nous le disons souvent, Marie représente notre humanité et ce qu’elle vit n’est pas pour elle seulement mais pour tous ses enfants. Au pied de la croix, c’est l’union du coeur de l’homme et du coeur de Dieu qui s’opère. Saint Jean Eudes considère que cette union est si parfaite qu’il ne dissocie plus les deux des coeurs dans sa dévotion, il ne parlera plus que du Coeur de Jésus-Marie, préfiguration de ce moment où le Christ sera tout en tous.
L’humanité du Christ
Le coeur de Jésus est un coeur humain en même temps qu’il est le coeur de Dieu. L’amour a formé un organe anatomiquement semblable au notre et il a voulu aimer comme nous aimons mais jusqu’à l’extrême qui est le transpercement, il a aimer comme nous aimons mais jusqu’à l’extrême qui est le transpercement, il a voulu parler un langage que nous comprenons de l’intérieur. Le coeur est le résumé de la personne, son coeur c’est toute sa personne car Dieu est amour, il n’est qu’un coeur ! Nous ne devons pas négliger son humanité sous peine de spiritualiser et de vivre une spiritualité désincarnée. Sainte Thérèse d’Avila a connu cette tentation après les grandes expériences qu’elle a faite où elle n’était plus sur terre. L’intelligence est tellement illuminée parfois par l’Esprit que nous serions tentés d’en rester à ce niveau que l’on nomme apophatique, c’est-à-dire dans une connaissance qui est au-delà du langage, au delà du sensible, des formes et des représentations. Mais c’est aller plus loin que Dieu qui a voulu s’incarner pour parler un langage humain. Cette tentation gnostique, la sainte d’Avila y a échappé en revenant, comme elle l’a dit, à l’humanité du Christ. Elle est dans le réalisme eucharistique, elle est présente dans les plus pauvres dont Jésus nous a dit qu’ils seraient toujours avec nous. Ce coeur blessé, broyé, humilié, sali comment ne pas le voir dans ceux qui n’ont plus d’apparence humaine, dans ceux que le péché du monde a déformés comme le Christ dans la passion. La dévotion au Coeur de Jésus comporte une notion de réparation, elle s’opère bien sûr dans l’adoration du Saint-Sacrement, mais aussi dans le sacrement du frère en qui nous discernons des blessures d’amour, et je crois qu’il n?y a pas d’autres blessures d’amour. Dieu n’a que nos mains, il n’a que nos bouches, il n’a que nos coeurs pour opérer cette réparation qui est le but de l’incarnation.
Toutes les hérésies prennent racine dans l’inacceptation de l’incarnation où Jésus est vrai Dieu et vrai homme. Soit on nie la divinité ou on l’amoindrit c’est la tentation libérale et humaniste, ou on nie sin humanité est c’est la tentation piétiste, janséniste et spiritualiste. Notre siècle est vraiment spirituel, trop sans doute, car il cherche dans l’Orient des spiritualités désincarnées où l’autre n’est là que comme un accessoire dans notre développement personnel. Accepter l’humanité du Christ, c’est accepter toute l’humanité, c’est l’aimer comme il l’a aimer, comme il l’aime c’est-à-dire à en mourir.
La dévotion au Saint-Sacrement nous vient des miracles eucharistiques qui ont émaillé l’histoire de l’Eglise, l’ostensoir était jusqu’à la fin du XVIéme siècle une monstrance, un reliquaire transparent pour montrer les hosties miraculeuses qui avaient confondu le doute intellectuel par le réalisme de la présence de la chair et du sang du Christ dans le sacrement. Sans prétendre devancer le jugement de l’Eglise, j’ai été fortement impressionné par le miracle de Lanciano car les analyses ont montré que la chair contenue dans la monstrance était celle du myocarde d’un coeur humain. Si miracle il y a, il est signe de cette union intime entre l’eucharistie et la dévotion au Coeur de Jésus.
Consécration de nos actions
La Messe est justement le sommet de nos actions, elle est action de grâce dans laquelle nous puisons la force d’accomplir nos actions. Elle doit être notre ressource ultime pour donner sens à tout ce que nous entreprenons. C’est pourquoi la liturgie doit être belle et faire l’objet de toute notre attention. Elle est le sens de notre vie et anticipation de la vie futur, de notre devenir liturgique pour l’éternité, une fête qui nous lave des soucis et des souillures du monde. Nous n’y participons pas seuls, dans la foi de l’Eglise nous pouvons prendre dans notre coeur l’humanité entière pour l’unir au coeur de Jésus et lui appliquer les mérites de son précieux sang. Ce travail continue ensuite dans notre vie quotidienne où nos actions doivent s’opérer dans une constante union au Christ.
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